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Espagne,1937 : Les démocraties enterrent la dernière révolution socialiste en Europe

Si elle annonce l’apocalypse à venir, la Guerre d’Espagne marque surtout la défaite du socialisme révolutionnaire en Europe. Si l’aide octroyée à Franco par Hitler et Mussolini est connu, on mésestime la contribution de l’URSS et de l’Angleterre dans la défaite finale des Républicains. Explications.

Pourquoi une guerre civile en Espagne ?

En 1936, l’élection du Front populaire espagnol incite les militaires à opérer un coup d’État contre le nouveau régime socialiste. L’affaire est menée par Franco et aboutit à un échec. Cependant, la République espagnole n’a pas les moyens de mater l’insurrection et la situation dégénère en guerre ouverte entre le gouvernement légitime et les militaires révoltés. À partir de là, les pays européens vont s’impliquer de façon plus ou moins directe dans le conflit.

Sur le papier, les forces semblent équilibrées. Les Nationalistes comptent sur l’aide de l’Allemagne et l’Italie, les Républicains s’appuient sur celle de l’Union soviétique. Si les alliés de Franco jouent le jeu, c’est nettement moins le cas de Staline qui rechigne à appuyer des révolutionnaires qu’il ne contrôle pas.

Dès lors, l’écart de force s’accroît progressivement au profit des fascistes qui remportent la guerre.

Impuissance française, ambigüité britannique

Cette version des faits très résumée passe sous silence des faits capitaux qu’il me paraît nécessaire de rappeler. D’abord, la volonté d’intervention de la France. Léon Blum souhaite s’engager auprès des Républicains, mais il est freiné par ses ministres, ainsi que par l’allié britannique qui impose la non-intervention. Cette volonté, moralement discutable, est justifiée par Londres comme le seul moyen d’éviter l’escalade avec l’Allemagne. Au-delà de ces belles paroles, des collusions troublantes sont attestées entre les Britanniques et les Nationalistes espagnols.

Citons par exemple la permission octroyée aux aviateurs allemands de survoler Gibraltar, puis l’autorisation donnée à Franco d’installer une base de signalement sur le Rocher. Citons également la fourniture de renseignements navals aux Nationalistes, et mêmes des interventions directes de la Royal Navy au profit de Franco lors des combats d’Algésiras et Bilbao.

Le péril rouge

L’attitude britannique montre l’ambiguïté des démocraties de l’époque. Officiellement, elles sont neutres. Officieusement, elles préfèrent l’ordre fasciste à la révolution socialiste. Le combat pour l’autonomie incarné par les ouvriers catalans et les paysannes andalouses effraie plus que le bruit des bottes des soldats franquistes.

Pourquoi ? Parce que la crainte d’une révolution communiste tenaille les démocraties libérales depuis la révolution russe de 1917. On peut s’opposer à une puissance impérialiste par la force des armes, comme ce sera le cas contre l’Allemagne ; néanmoins, il est plus difficile de contenir sa propre population lorsqu’elle aspire à transformer la société, comme c’est le cas en Espagne.

Le camp républicain fédère le petit peuple : paysans, ouvriers, artisans, chômeurs qui désirent changer de système en s’appropriant les terres et les usines. En face, les Nationalistes s’appuient sur une ligue de banquiers, industriels, grands propriétaires terriens, ainsi que sur l’Église, gardienne de l’ordre établi. Le conflit idéologique est donc tracé entre les petits et les puissants.

On peut concevoir qu’un tel clivage ne soit pas confortable pour les démocraties libérales. La position de l’URSS semble au contraire très simple, et nul ne doute que son rôle consiste à défendre les Républicains. Après tout, nous sommes en 1937, et pour des millions d’hommes et de femmes, l’Union soviétique de Staline incarne le socialisme et la démocratie.

Duplicité soviétique

En réalité, Staline exècre les révolutionnaires catalans. Il voit l’éclosion d’un foyer révolutionnaire européen comme une ombre à son propre leadership. Par ailleurs, les révolutionnaires espagnols ne se réclament ni de lui, ni de Lénine, mais d’un syncrétisme entre marxisme, anarchisme et démocratie directe, à mille lieues du marxisme dogmatique et dirigiste des Soviétiques.

Certes, Staline apporte une aide financière et militaire aux Républicains. Il y est contraint par la pression internationale. Néanmoins, ce soutien, très limité, voile une manœuvre pour prendre le contrôle du camp républicain. En effet, les Républicains espagnols sont menés par deux factions : les anarchistes de la Confédération nationale du Travail (CNT), et les communistes indépendants du POUM (parti ouvrier d’unification marxiste). 

Le Parti communiste espagnol, officiellement rattaché à l’URSS, n’est qu’un parti minoritaire. Il va cependant croître au sein de l’État républicain à la faveur des hostilités, car il reçoit directement l’aide octroyée par les Soviétiques.

Forts de ce soutien, les communistes staliniens sont assez puissants pour opérer un coup de force contre leurs alliés de la CNT et du POUM dès 1937. Une guerre dans la guerre éclate dans le camp républicain, et Barcelone devient le théâtre d’affrontements entre combattants d’une même cause. La CNT et le POUM sont déclarés traîtres et mis hors-la-loi. Combattus, traqués, ils sont désarmés, emprisonnés et parfois assassinés par les staliniens.

L’écrasement définitif du communisme démocratique

En liquidant le mouvement révolutionnaire, Staline prend le contrôle du camp républicain, et le vide de sa substance. Dès cet instant, la victoire de Franco est acquise. Cependant, l’écrasement de la révolution espagnole est bien le fait de Staline. 

Cet épisode révolutionnaire constitue la dernière révolte marxiste en Europe. Désormais, seuls deux camps subsistent : la démocratie libérale et le totalitarisme, soviétique ou fasciste.

Certes, la seconde guerre mondiale va bouleverser la donne en voyant les Soviétiques s’allier aux Occidentaux, mais la guerre entre l’URSS et l’Allemagne nazie n’est pas l’affrontement définitif entre socialisme et fascisme décrit par la propagande des deux camps. C’est une lutte à mort entre deux totalitarismes héritiers de deux empires dont l’opposition en Europe de l’Est se décline sur plusieurs siècles.

Ce qui s’est joué en Espagne, c’est un combat pour un modèle alternatif à celui qui régit encore le monde aujourd’hui. Un combat perdu, et dont l’essence s’est dispersée au fil du temps, dans le grand récit de l’Histoire.

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